Victime : Comment obtenir réparation d’une infraction pénale ?
- Mathieu Petresco
- 9 juil.
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 juil.

En 2023, selon le Ministère de la Justice, « sept [affaires pénales] sur dix ont été considérées comme non poursuivables, soit que l’auteur n’a pas été identifié (45 %), soit pour un motif juridique, une absence d’infraction ou des charges insuffisantes (17 %), soit que l’affaire n’a pas été enregistrée (10 %) » [1]. Le taux de classement sans suite s’élevant à près de 86% en matière de violences sexuelles [2].
Or, dans le même temps, « parmi les 3,9 millions d’affaires enregistrées et traitées en 2023 par les parquets, 3,2 millions, soit 82 %, présentaient au moins une victime identifiée » [3].
L’avocat pénaliste en robe noire qui défend la veuve et l’orphelin n’est pas seulement une image populaire, il sera un guide appréciable dans ce parcours semé d’embûches puisqu'avant d’être reconnue comme victime par un juge, la personne physique ou morale ayant souffert d’une infraction pénale doit d’abord déposer plainte ou se constituer partie civile lors de l'audience puis formuler des demandes de dommages et intérêts et enfin obtenir réparation.
1. Comment déposer plainte pour faire valoir ses droits en qualité de victime ?
Lorsqu’on est victime d’une infraction (violences [4], viols et agressions sexuelles [5], harcèlement [6], vol [7], extorsion [8], escroquerie [9], abus de confiance [10], recel [11], blanchiment [12], corruption [13], etc.), le dépôt de plainte est la première étape essentielle.
La plainte est un acte par lequel une personne signale à l’autorité judiciaire la commission d’une infraction :
Au commissariat ou à la gendarmerie :
La forme la plus courante consiste à se déplacer au commissariat ou à la gendarmerie du lieu de l’infraction ou du lieu de son domicile pour déposer plainte ;
« Les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d'infractions à la loi pénale » [14] et ils doivent rédiger procès-verbal qui « donne lieu à la délivrance immédiate d'un récépissé » [15] ;
Ce procès-verbal de dépôt de plainte est transmis au procureur de la République qui apprécie les suites à donner ;
Pour certains délits (vol, escroquerie, dégradations…), il est possible de pré-remplir une pré-plainte en ligne [16], puis se rendre au commissariat ou à la gendarmerie sur rendez-vous ;
Par courrier :
Écrire au procureur de la République du Tribunal judiciaire compétent (lieu de l’infraction ou de résidence de l’auteur présumé) par lettre recommandée avec accusé de réception en précisant ses coordonnées complètes, le récit détaillé des faits (lieu, date, circonstances), le nom de l’auteur présumé s’il est connu et en communiquant toutes pièces justificatives utiles (certificat médical, témoignages, photos, etc.) ;
Être assisté par un avocat dès le dépôt de plainte permet de mieux formuler les faits (en particulier leur apporter une qualification appropriée), joindre les bonnes preuves, anticiper les suites judiciaires et préparer une éventuelle constitution de partie civile.
Les infractions pénales sont soumises aux délais de prescriptions de :
« une année révolue » [17] pour les contraventions (ex. diffamations et injures non publiques [18], violences sans incapacité de travail [19] ou violences avec incapacité de travail inférieure à huit jours [20]) ;
« six années révolues » [21] les délits (vol [22], violences avec incapacité de travail supérieure à huit jours [23], harcèlement [24]…) ;
« vingt années révolues » [25] pour les crimes (viol [26], meurtre [27]…).
Sauf exceptions, ces délais courent à partir du jour des faits et il est souvent crucial de déposer plainte rapidement après les faits pour éviter tout dépérissement des preuves et faciliter l’identification du ou des auteurs présumés.
Une fois la plainte déposée, le procureur de la République peut ouvrir une enquête confiée à la police ou la gendarmerie et engager des poursuites : convocation devant un tribunal, ouverture d'une information judiciaire, etc. Un avocat pourra également relancer le parquet, faire un suivi du dossier, et vous représenter à toutes les étapes de la procédure.
En cas de classement sans suite par le procureur de la République, vous pouvez déposer une plainte avec constitution de partie civile avec l’aide d’un avocat [28] ou faire citer directement l’auteur présumé devant le Tribunal judiciaire ou le Tribunal de police avec l’aide d’un avocat [29].
Un avocat pénaliste accompagne la victime à chaque étape de cette procédure pénale pour sécuriser ses droits, anticiper les éventuelles décisions de classement sans suite, et engager si nécessaire une instruction pénale.
2. Comment se constituer partie civile et faire reconnaître son statut de victime ?
La constitution de partie civile est un acte juridique par lequel une personne exprime sa volonté de participer à la procédure en tant que demandeur d’indemnisation. « La justice pénale sanctionne, la justice civile indemnise. La constitution de partie civile permet d’atteindre ce double objectif au cours du même procès » [30].
La constitution de partie civile peut intervenir au stade de l’instruction pénale ouverte pour un crime ou un délit :
En cas d’ouverture d’une instruction pénale pour un crime ou un délit par un réquisitoire du procureur de la République ou par une plainte avec constitution de partie civile, « la constitution de partie civile peut avoir lieu à tout moment au cours de l'instruction » [31] ;
La chambre criminelle de la Cour de cassation précise que « pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction pénale » (Cass. Crim. 27 mai 2009, n°09-80.023) ;
En outre, la Cour de cassation précise que le juge d'instruction ne peut déclarer irrecevable une constitution de partie civile qu'après avoir au préalable transmis les réquisitions du procureur de la République (Cass. Crim., 26 janvier 2021, QPC n°20-84.472) et l'avoir mis en mesure de présenter ses observations (Cass. Crim., 3 juin 2014, n°14-90.014) ;
La constitution de partie civile permet de participer activement à la procédure pénale en particulier, en ayant accès via son avocat au dossier de l’instruction pénale [32] et en formulant des demandes d'actes (expertises, contre-expertises, interrogatoires, confrontations, actes utiles à la manifestation de la vérité …) [33]. A ce titre, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise notamment que la mise en examen n'est pas un acte utile à la manifestation de la vérité qui peut être demandé par la partie civile (Cass. crim., 15 février 2011, n°10-87.468).
La constitution de partie civile peut intervenir directement à l’audience, devant le tribunal de police, le tribunal correctionnel ou la cour d’assises :
Cette démarche est distincte du dépôt de plainte. On peut porter plainte sans se constituer partie civile, ou se constituer partie civile sans plainte préalable (par exemple, après avoir reçu une citation à comparaître).
En cas de classement sans suite de la plainte, il est possible de faire délivrer une citation directe à l’auteur présumé devant le Tribunal judiciaire ou le Tribunal de police avec l’aide d’un avocat [34] ;
La constitution de partie civile permet de participer à l’audience comme partie civile et de formuler des demandes « en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention » dès lors qu’elle a « personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction » [35]. A l'audience, la déclaration de partie civile doit, à peine d'irrecevabilité, être faite avant les réquisitions du ministère public sur le fond [36] ;
L’assistance d’un avocat pénaliste est cruciale pour préparer l’audition de la partie civile devant le Tribunal, rédiger des conclusions de partie civile convaincantes et chiffrer les préjudices subis (moral, corporel, matériel).
3. Quels types de préjudices peuvent être indemnisés pour les victimes ?
Une fois partie civile, il est possible de formuler une demande chiffrée de dommages et intérêts devant le Tribunal de police, le Tribunal correctionnel ou la Cour d’assises. Si la culpabilité est établie, le juge statuera alors sur les intérêts civils (dommages et intérêts).
Les Tribunaux se réfèrent notamment à la nomenclature Dintilhac [37] qui comportent plusieurs distinctions entre les victimes directes ou indirectes, les préjudices patrimoniaux (liés à l’argent), extra-patrimoniaux (liés à l’atteinte à la personne) et ceux temporaires ou permanents.
Pour les victimes directes, la nomenclature Dintilhac détaille plusieurs postes de préjudices :
Patrimoniaux :
Avant consolidation (temporaires) sont constitués des :
Dépenses de santé actuelles (DSA) : soins, examens, hospitalisation, rééducation, kinésithérapie, etc ;
Pertes de gains professionnels actuels (PGPA) : arrêt de travail, chômage temporaire, perte de chiffre d’affaires pour un indépendant ;
Frais divers (FD) : transport pour soins, aide temporaire à domicile, assistance administrative.
Après consolidation (permanents) :
Dépenses de santé futures (DSF), assistance par tierce personne (ATP) : transport pour soins, aide temporaire à domicile, assistance administrative ;
Frais de logement adapté (FLA) ou Frais de véhicule adapté (FVA) : aménagement de logement ou véhicule, aide humaine permanente, soins à vie ;
Pertes de gains professionnels futurs (PGPF), incidence professionnelle (IP), préjudice scolaire, universitaire ou de formation (PSU) : incapacité partielle ou totale de travail, préjudice professionnel, incidence sur la carrière.
Extra-patrimoniaux :
Avant consolidation (temporaires) sont constitués des :
Déficit fonctionnel temporaire (DFT) : invalidité subie dans la sphère personnelle jusqu’à sa consolidation ;
Souffrances endurées (SE) : toutes les souffrances physiques et psychiques endurées du jour de l’accident à celui de sa consolidation ;
Esthétique temporaire (PET) : altération temporaire de l’apparence physique (port d’une attèle, ecchymose).
Après consolidation (permanents) :
Déficit fonctionnel permanent (DFP) : perte durable d’autonomie, douleurs chroniques, séquelles physiques ou mentales ;
D’agrément (PA) : la perte de la possibilité de pratiquer une activité de loisir (sport, musique, voyages, etc.) ;
Esthétique permanent (PEP) : la dégradation physique visible (cicatrice, boiterie, paralysie…) ;
Sexuel (PS) : l’atteinte à la vie intime (désir, plaisir, fertilité), y compris dans la sphère relationnelle ;
D’établissement (PE) : l’impossibilité ou difficulté à fonder une famille, avoir une vie affective et familiale normale ;
Permanent exceptionnel (PEP) : préjudices ayant une résonnance toute particulière notamment en raison des circonstances ou de la nature de l’accident à l’origine du dommage (attentats, catastrophes naturelles ou industrielles). La Chambre mixte de la Cour de cassation a consacré l’autonomie du préjudice d’angoisse de mort imminente qui doit être distingué des souffrances endurées (Cass., Mixte, 25 mars 2022, n° 20-17.072).
Pour les victimes indirectes (proches), la nomenclature Dintilhac détaille également plusieurs postes de préjudices :
En cas de décès de la victime directe :
Patrimoniaux : frais d’obsèques, pertes de revenus des proches et frais divers ;
Extra-patrimoniaux comme le préjudice d’accompagnement ou le préjudice d’affection. La Chambre mixte de la Cour de cassation a consacré l’autonomie du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches (Cass., Mixte, 25 mars 2022, n° 20-17.072) ;
En cas de survie de la victime directe :
Patrimoniaux : pertes de revenus des proches et frais divers ;
Extra-patrimoniaux comme le préjudice d’affection et les préjudices exceptionnels.
La preuve du préjudice est cruciale et il convient de réunir tous les éléments utiles, avec l’aide de votre avocat pour démontrer :
Documents médicaux : certificats, arrêts de travail, comptes rendus d’hospitalisation.
Photos : blessures, cicatrices, impacts matériels.
Documents financiers : bulletins de salaire, attestations URSSAF, devis, factures.
Témoignages : proches, employeurs, psychologues.
Une expertise médicale judiciaire peut être ordonnée pour évaluer l’ensemble des séquelles physiques ou psychiques. L'assistance d'un avocat est fortement conseillé lors des opérations d'expertise;
Le juge statuera sur la base des éléments fournis, de l'expertise et des demandes chiffrées présentées par votre avocat.
Un avocat expérimenté en droit pénal est indispensable pour identifier tous les postes de préjudices indemnisables, constituer un dossier solide avec les bonnes pièces, rédiger des conclusions chiffrées claires et complètes et obtenir une réparation intégrale.
4. CIVI, FGTI, SARVI, FGAO : Quels recours si le condamné ne paie pas les dommages et intérêts à la victime ?
Même lorsque l’auteur d’une infraction est condamné à verser des dommages et intérêts, il arrive parfois qu’il ne paie pas, soit parce qu’il est insolvable, soit parce qu’il est inconnu ou en fuite.
Il existe des mécanismes d’indemnisation spécialement conçus :
La CIVI (Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions), juridiction rattachée au Tribunal judiciaire. Elle est compétente pour l'indemnisation de crimes ou délits graves (Violences graves avec un ITT supérieur à 1 mois, agressions sexuelles, viol, torture, mutilation, homicide, mineurs ou personnes vulnérables [38]), même si l’auteur est inconnu, non identifié, ou insolvable. La CIVI doit être saisie dans le délai de 3 ans après l’infraction ou 1 an après la décision pénale [39]. La CIVI peut accorder une indemnisation intégrale ou partielle, selon la gravité du préjudice (nomenclature Dintilhac), les ressources de la victime, la situation du condamné (fugueur, sans domicile, sans revenus). Le FGTI versera ensuite l'indemnisation accordée par la CIVI ;
Le FGTI (Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d'autres Infractions) est un organisme public financé par une contribution sur les contrats d’assurance. Il est compétent pour l'indemnisation en cas d’attentats et d’infractions graves de droit commun (homicides, viols et agressions sexuelles, violences conjugales…) ;
Le SARVI (Service d’Aide au Recouvrement des Victimes d’Infractions) permet d’obtenir une aide au recouvrement après un jugement définitif condamnant l’auteur à verser des dommages et intérêts à la partie civile. Avant l’envoi d’une demande d’aide au recouvrement au SARVI, il convient de vérifier que la demande ne relève pas du champ d’application de la CIVI. La condamnation doit être définitive, la demande doit être faite dans l’année qui suit la décision et le condamné doit être insolvable ou n’avoir versé qu’une partie de la somme. Selon le montant de la condamnation, le SARVI verse une partie ou la totalité de ce montant. En cas de condamnation inférieure ou égale à 1.000€, le SARVI verse la totalité du montant de la condamnation. En cas de condamnation supérieure à 1.000€, le SARVI verse 30 % du montant de la condamnation, avec au minimum 1.000€ et au maximum 3.000€ ;
Le FGAO (Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages) est un organisme chargé d'indemniser les victimes d’accidents de la circulation dont les responsables sont inconnus ou non assurés. Lorsque la victime directe de l'accident est décédée, le FGAO indemnise ses ayants droit (époux/épouse, partenaire de Pacs, concubin, ascendants et descendants). Le FGAO intervient lorsque l'accident est causé par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur (voiture, scooter, camion, trottinette, etc.) ou par un autre usager de la voie publique (cycliste, piéton, animal, skieur, etc). Lorsque le responsable des dommages est inconnu, la demande d’indemnité́ doit être adressée dans le délai de 3 ans à compter de l’accident et, lorsque le responsable des dommages est connu, la demande d’indemnité doit être adressée dans le délai d’un an, à compter, soit de la date de transaction, soit de la date de la décision judiciaire.
Mathieu PETRESCO, Avocat au barreau de Paris, accompagne les victimes d’infractions pénales dans toutes leurs démarches lors du dépôt de plainte, la constitution de partie civile, l’audience devant le Tribunal de police, le Tribunal correctionnel et la Cour d’assises, la demande d’indemnisation auprès du FGTI, SARVI ou de la CIVI et du recours contre l’État en cas de carence.
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